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1Monseigneur, encores que je soye trop asseuré que pouvez avoir des nouvelles plus
2certaynes de la court et d’alieurs de l’effect de nostre voyage que nule que je vous scaurois
3escripre, joint que le cappitaine Champe sans estant allé de par-delà, vous pourra dire toutes
4les particularités qu’il ha aprinses icy, si esse que pour reconoyssance de l’humble
5servitude et perpétuelle obéyssance que je vous ay vouée, je ne veus faillir (si je
6n’ay cest heur de mieulx fère) de vous donner advis de ce qu’avons faict icy qui
7n’a esté autre chose, despuys cinq sebmeynes que nous y sommes, que nous paistre
8d’espérance que le commandement de mettre les voilles au vent arriveroit de jour
9à aultre, mais elle nous ha souvent esté rabatue par le bruict commung, mesmes
10des plus grands, que le voyage estoit rompu, et sans la venue de monsieur de
11Clermont, nous l’eussions presque tenu pour asseuré, mais despuys dix ou douze
12jours qu’il est icy, il nous en ha demy atté l’opignion, mais non toute, car
13encores que pour en fère paroistre quelque chose, il aye faict remorquer
14avec les galères de monsieur de La Garde jusques à Lermont, une lieue d’icy,
15quatre navires que luy, monsieur de Lanssac et Rocquetaillade avoyent en
16ce port, si esse que n’y ayant que le corps des vaysseaulx sans artillerie,
17monitions, panaticque ny aultres vivres, nous ne scavons qu’en pencer,
18bien est-il vray que despuys deulx ou trois jours, on ha chargé six cens
19quintaux de biscuict sur celuy de monsieur de Clermont. Monsieur de Lanssac,
20qui est en part avec ledit sieur, est en sa mayson, lequel, quoy qu’on luy
21escripve de venir, n’arrive point néaulmoing. Monsieur d’Estrozze est en
22Brouage, qui haste l’armement de ses vaysseaulx le plus qu’il peult à ce
23qu’il escript. Cependant monsieur de La Garde, qui est à trois ou quatre
24lieues d’icy dans ses galères, faict contenance d’homme qui ne se soucieroit
25guères quant il ne se feroit point, mesmes que quelques ungs disent qu’il
26ha envoyé à la court pour le fère rompre. D’alieurs, il ne vict personne
27qui porte commandement de nous fère partir, ny moings Le Ga et quelques
28aultres qui ont des vayseaulx en cette flotte, estans à la court, font
29conte d’en partir et sependant la saison de naviguer en cette mer se
30passe de fasson que nous n’en avons plus que deux mois. Ces choses font
31tellement resuer les plus habiles qu’ilz ne scavent là où ilz en sont et
32ne peulvent en discourir aultrement, sinon que ou les entreprinzes ont
33[v°] failly, ou que nous voulons garder par cette contenance de trop entreprendre
34à nos voysins, ou bien que c’est une bouttade françoyse plus tost finie
35que commencée. Si scay-je toutesfoys de bien bon lieu qu’il avoit esté
36entrepris de donner en l’ung de ses trois endroitz de la coste d’Espaigne, à
37Lisbonne, Calix ou bien à Portogalo qui est ung havre en Portugal, et
38en default de cela, au Castel de Mine qui est en la Guinée, ou bien aller
39aulx Essores attendre l’armée d’Espaigne qui revient du Péru, et ayant
40faict quelcung de ces effaictz, pourter le sieur de Causeins avec douze cens
41arquebusier en Alger, que le Grand Seigneur remet entre les mains du roy.
42Si cella est vray monseigneur, je ne scay, mais l’on m’en ha bien fort asseuré.
43Se pendant l’on tient icy la guerre desclerée contre le roy d’Espaigne,
44mesmes monsieur de Gernac l’a escript à monsieur de Montferrand, gouverneur
45de cette ville et pour cest effaict monsieur de Guyse faict dresser
46quinze compaignies de chevaulx légers à ce que l’on dict. Comme qu’il en
47soict, monseigneur, si le voyage est rompu, je m’asseure qu’une infinité de noblesse qui est icy ne sera une aultres fois si prompte à partir au premier bruict qui viendra. Quant
48aulx soldatz, il y en ha tant icy ou aulx environs que je ne cuyde pas, s’il
49fault partir, qu’il s’en puysse embarquer la moytié, encores que monsieur
50d’Estrozze face conte que si le voyaige n’est guères long, de mettre cinq
51mil hommes de guerre sur ses vaysseaulx, mais s’il [n’]est court, il n’en peult
52charger que trois mil cinq cens. Quelques-ungs ont voulu dire que pour
53certain le voyage estoit rompu et que le roy debvoit envoyer commander
54en ceste ville d’arrester les vaysseaulx qui sont dans ce port et ne les
55laysser sortir, dont en ayant senty le vent, ceulx à qui ilz sont les en ont
56faict vuider le plus tost qu’ilz ont peu, se résolvantz quoy qu’il en feult
57d’aller courir fortune en quelque lieu, puysqu’ilz ont embarqué tant de gens
58avec eulx ; et pour cette occasion en est désja sorti neuf. Mais je ne
59croy pas que personnes qui ont de si belles et grandes charges en France
60commes messieurs de La Garde et d’Estrozze vouleussent entreprendre chose
61contre la volonté du roy. Ce matin monsieur de Clermont m’a asseuré
62que monsieur d’Estrozze n’attendoit plus qu’après luy, mais que si monsieur de
63Lanssac estoit venu, ilz seroient pretz dans trois jours et que le roy
64entend qu’il se face. Voyla les contrariettez, monseigneur, en quoy nous
65[fol.61] sommes icy, mais m’asseurant qu’en avez des nouvelles plus asseurées,
66je ne vous importuneray d’avantaige par celle-cy, vous ayant baysé
67très humblement les mains, je suplieray le Créateur,
68Monseigneur qu’il vous doint en parfaicte santé très longue et
69heureuse vie. De Bordeaulx, ce XXII. jullet 1572.
70Votre plus humble et obeyssant
71serviteur.
72Blanieu
73Monseigneur, despuys cette cy escripte, le sieur de Montmorin, qui est à la reyne,
74est arrivé aulx galères de monsieur de La Garde, qui a porté, à ce que l’on dict, résolution si le
75voyage se fera ou non et s’il se faict, quel jour on partira. Et pour cest
76effaict, on attend les sieurs de La Garde et d’Estrozze aujourd’huy, qui est le
7723. en cette ville pour, avec monsieur de Clermont, Ponpadour et les aultres
78qui sont icy, résouldre entièrement de ce qu’on ha affère. Si le pourteur
79eust eu le loysir d’ung jour ou deulx encores, je vous en eusse faict
80entendre ce que l’on eust arresté, mais se sera par la première commodité.